Le design et la production du livre Résidus visuels ont été une série de défis. Du point de vue de la mise en page, les contraintes posées par le braille, qui s’imprime recto seulement mais garde une forte présence sur le verso de la page, et l’impression au plomb recto-verso, nous ont amenés à privilégier une grille flexible, toute superposition étant rendue impossible par le relief des deux types d’impression. Cette grille favorise une exploration de la page de la part du lecteur, mais a nécessité plusieurs essais pour obtenir un ordre des textes cohérents en termes d’édition, possible en termes d’impression et intéressant au niveau du rythme. Olivier Laporte et Julien Hébert, étudiants en design graphique, ont ainsi conçu une maquette utilisant le maximum de la largeur de la grille pour briser le moins possible les vers dans la version braille, allant même jusqu’à faire déborder un vers sur une double page. Les textes en prose ont permis plus de flexibilité pour maximiser l’espace tout en laissant des silences entre les sections. La répartition des pavés et des blancs crée un certain rythme dans le livre ; ainsi, la partie du texte correspondant à une déambulation dans la nature est plus aérée, contrastant avec une section urbaine plus dense visuellement.
Pour mettre en valeur la dimension spatiale des textes, nous avons choisi pour illustrations tactiles des fragments de plans et de cartes géographiques que nous avions vus à l’INLB (Institut Nazareth et Louis Braille), réalisés par Dominic Beaudin. Les lieux indéfinis dans lesquels se promène le narrateur entrent en échos avec les énigmes que constituent ces plans, où quelques mots seulement donnent des indices géographiques ou des précisions d’échelle, sans être trop spécifiques.
Nous avons choisi le papier Crane Lettra 100% coton, conçu pour l’impression au plomb, ce qui nous a permis d’exercer plus de pression avec nos caractères sans les endommager. De plus, les tests effectués par Pierre Ferland nous avaient convaincus de sa texture agréable au toucher. Pour les illustrations tactiles, réparties entre chaque section, nous avons choisi le papier Mohawk superfine lisse, qui contraste avec le fini vélin des autres pages. Nous avons ajouté une couverture jaune légèrement cartonnée, recouverte d’une jaquette qui laisse dépasser seulement 2 bandes de jaunes dans les intérieures de couverture. Nous avons fait ce choix en référence au « safety-yellow », choisi notamment par la Société de transport de Montréal (STM) pour indiquer les bords de quais et les premières et dernières marches des escaliers dans le métro. Le contraste de cette couleur avec l’environnement permet aux personnes malvoyantes de bien détecter ces zones potentiellement dangereuses. Le livre étant composé de deux cahiers cousus dos à dos, une bande de carton jaune apparaît aussi au centre du livre, répondant à un texte qui évoque un quai de métro.
Pierre Ferland a fait la transcription des textes en braille et la relecture des premières épreuves, et Dominic Beaudin a effectué l’embossage en braille, guidé par Julien Hébert pour respecter l’emplacement des blocs de texte prévu par la grille. Janie Lachapelle, spécialiste en activités cliniques à l’INLB, s’est chargée des corrections des textes et de la vérification finale page à page, pour chacune des 50 copies.
La composition au plomb a été un autre défi. Cette technique implique d’assembler minutieusement les textes, lettre par lettre, incluant les espaces et la justification des pavés, pour la mise en place sur la presse. C’est l’étudiante en design graphique Marie-Pier Corbeil qui a assuré cette tâche. Mais nous avons manqué de lettres U, E et É pour composer l’ensemble des textes. Nous avons réussi à trouver deux paquets de caractères chez le fournisseur Don Black, à Toronto, mais impossible d’en avoir plus. Nous avons donc dû ruser en remplaçant les lettres manquantes par des lettres de même largeur, en attendant que les premières pages imprimées nous permettent d’interchanger ces lettres pour les pavés suivants.
Un autre bricolage a été nécessaire pour préserver la blancheur des pages : lors des premières impressions, nous nous sommes aperçu que plomb tâchait les feuilles, alors que ce n’était pas le cas lors des tests préliminaires. Marie-Pier a donc eu l’idée de les recouvrir de latex, à partir de gants découpés. Nous avons fait un tirage de 50 copies, correspondant à la capacité de production de l’INLB dans les brefs délais qui nous étaient impartis. L’embossage en braille était fait dans un second temps, pour ne pas écraser les cellules de braille. Ces deux presses, lieux et procédés différents demandaient une grande logistique pour préserver l’alignement de la grille, mais aussi beaucoup de manipulations, qui augmentaient le risque d’abimer les feuilles (qui ne sont d’ailleurs pas rognées après la reliure, encore une fois pour ne pas écraser le relief du braille).
La dernière étape a été d’encarter les pages, de perforer les cahiers et de les coudre, et de plier la jaquette, le tout à la main. Inséré dans une envelopper de plastique sans acide pour sa protection, le livre sera prêt pour le lancement au Centre de design le 22 janvier à 18h.