Pour bénéficier de points de vue extérieurs à notre projet, nous contactons régulièrement des représentants des métiers du livre tels qu’imprimeurs, éditeurs et relieurs. Récemment, nous avons rencontré Florence Noyer, éditrice chez Héliotrope et directrice de Gallimard Ltée au Québec. En tant qu’éditrice, son amour du livre l’amène à porter une grande attention à la forme physique de l’objet, son matériau, son esthétique. Mais l’espace graphique doit être au service du contenu, épouser une démarche. Pour elle, un livre est d’abord un texte, et son travail va dans le sens d’un respect et d’une considération des auteurs avant tout. Ainsi, notre démarche ’’inversée’’ l’a interpelée, dans la mesure où, dans le cadre de la chose imprimée, le concept graphique du livre précède et détermine le choix du texte. Elle a aussi partagé avec nous son expérience au sujet de la diffusion, et de la charge de travail à part entière que cette étape requiert. Ces considérations nous confirment dans notre volonté de développer des collaborations avec des galeries et des librairies spécialisées, et de participer à des foires ou des expositions pour faire connaître nos futures créations.
Dans le même édifice se trouve la librairie Gallimard, où Marine Gurnade a spontanément accepté de nous faire une visite guidée des lieux. Elle nous a fait profiter de sa très bonne connaissance du paysage éditorial actuel, et de son regard de libraire, particulièrement attentif à l’aspect marketing du design du livre. Florence avait déjà insisté sur l’importance de la couverture, tout en soulignant la réticence des graphistes à ce niveau, car ils sont parfois dans une volonté d’épure du travail. Mais pour elle, c’est une question de cohérence avec le projet du livre au complet. Marine nous a expliqué que la couverture établit un lien rapide de connivence entre le lecteur et le livre, elle fonctionne comme un repère. De plus, elle permet à une maison d’édition de renforcer son identité en faisant appel à un certain public. Par exemple, la sobriété esthétique du Quartanier annonce une recherche formelle et s’adresse à un public intellectuel, avant tout des littéraires. Chez Gallimard, les demi-jaquettes combinent impact visuel et simplicité, pour attirer un plus large public tout en gardant un gage de valeur. Pour le polar, les premiers codes-couleur pris comme référence (le noir et le jaune) permettent l’identification rapide à un genre. Mais aujourd’hui, les éditeurs jouent entre adéquation et prise de liberté vis-à-vis de ces codes inscrits dans l’imaginaire collectif.
En général, les livres s’intègrent à des collections, qui ont chacune une maquette préétablie. Il n’y a donc pas de projet de design pour chaque livre en particulier, excepté quelques hors série. Mais en poésie, les livres sont souvent moins formatés, l’édition plus artisanale et à petits tirages laissant la place à une grande créativité graphique. Les livres pour enfant constituent l’autre catégorie où l’innovation visuelle est la plus importante. On retrouve des livres de toutes les tailles, de toutes les formes, de toutes les matières, et des projets uniques cohabitent avec des collections plus traditionnelles.
Pour finir, nous avons abordé avec Florence la question de l’avenir des métiers du livre à l’heure de la révolution de l’E-book. Pour elle, le numérique va prendre énormément d’ampleur. La réflexion typographique à cet endroit est face à de gros défis et s’ouvre à de nombreuses possibilités de créativité. Elle encourage les designers à se lancer dans ce nouveau créneau qui s’ouvre. Tout reste à explorer pour repenser le livre sur un nouveau support, avec des espaces de navigation différents, un rapport à l’image enrichi et des possibilités naissantes d’interactivité. Face à ce changement de paradigme, le métier d’éditeur est à réinventer, mais ce sont surtout les librairies traditionnelles qui sont menacées.