Archives mensuelles : octobre 2012

Toucher des livres : rencontre à la librairie Formats

Après notre visite chez Gallimard, nous sommes allés rencontrer Jean Lalonde et Patrick Vézina à la librairie Formats. Cette nouvelle librairie spécialisée en arts actuels a ouvert tout récemment, sous l’impulsion du Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec. Pourquoi ouvrir une librairie à l’ère numérique? Quelles sont les spécificités des livres proposés ici, qui justifieraient un tel lieu? En nous promenant entre les rayons et les tables de présentation, nous avions d’emblée des éléments de réponse.

Cette librairie a développé une approche esthétique des livres, qui sont choisis selon la beauté du projet, en privilégiant souvent les petites éditions, les éditions à compte d’auteur, ou les livres hors collection, et en s’ouvrant à toutes les formes d’art contemporain. Par exemple, en littérature, leur choix se porte sur de petites maisons, comme Printed Matters ou La Peuplade, tant pour la qualité des textes que pour la beauté de l’objet, le travail de graphiste en tant que tel. On retrouve aussi beaucoup de livres sans couverture, suivant une tendance à mettre à jour un aspect brut de l’objet, à travers sa reliure ou ses pages non massicotées.

Leur démarche est de faire valoir le design comme une création artistique, et non juste une technique de production. Leur travail de libraire implique donc des exigences particulières, avec une sélection pointue et des voyages dans des foires du monde entier (New York, Tokyo, Bruxelles) pour ramener des perles rares.

L’originalité des livres exposés réclame un espace physique, qui permet la manipulation des oeuvres; peu de livres sont sous plastique, on peut facilement les feuilleter. Leurs spécificités graphiques apparaissent au regard, mais aussi au toucher, à l’odeur. Par exemple, dans Theatre, de Lubok, la matérialité de l’encre est très présente, on peut la sentir sous les doigts et même au nez. L’impact de la sérigraphie avec des encres fluo, métalliques, serait impossible à reproduire à l’écran.

Une problématique de classement se pose alors à eux, dans leur conception du livre : selon quelles catégories organiser tous les ouvrages présents? Pour l’instant les sections se définissent par discipline, ce qui pose problème, car les livres d’art, justement, traversent les frontières. La circulation dans l’espace de la librairie est donc à penser, en prenant en compte le lecteur et ses façons de se repérer.

Cette librairie est aussi un lieu dynamique qui vise à accueillir des lancements ou des journées d’étude pour faire vivre un milieu artistique d’étudiants, d’artistes, de professeurs et d’amateurs. Ils développent des partenariats avec le MAC, la SAT, l’École de design, et envisagent d’organiser quatre à six évènements spéciaux par année autour de quelques éditeurs.

Leur vision de l’avenir est assez confiante : les librairies doivent se spécialiser et se concentrer sur des niches, mais la cohabitation papier/numérique se met progressivement en place ; ce sont en effet les plus gros consommateurs de numérique qui sont aussi les plus gros consommateurs de papier.

Un livre sur mesure

Au fil de nos recherches sur l’objet de désir et la collection, quelques pistes de création ont commencé à se dégager. L’histoire du livre, autant dans sa fabrication que dans son usage et sa diffusion, nous inspire plusieurs idées de réalisation de notre projet. Nous cherchons à concevoir un livre « idéal » dont les paramètres physiques seraient adaptés aux préférences de son possesseur, en insistant sur une apparence excentrique, très ornementée. À des époques où le livre était moins répandu, il était considéré comme un objet précieux, parfois même orné de pierres précieuses et rangé parmi les trésors plutôt que dans une bibliothèque. Les dorures sur tranche et les pages de garde colorées ajoutaient également à la valeur esthétique du livre. Tous ces éléments nous inspirent des idées de décoration, qui surjouerait la valeur de l’objet.

Une autre voie envisagée serait de réinvestir la tradition des ex-libris. Par le passé, la couverture du livre portait souvent la marque d’appartenance ou le nom du propriétaire. Aujourd’hui, l’idée d’une publication portant le nom de l’acquéreur plutôt que celui de l’auteur serait impensable, mais ce renversement comporte une réflexion intéressante, car il matérialise l’identification de l’individu aux ouvrages qu’il possède. Cet investissement narcissique détient tout un potentiel parodique à explorer. Pour personnaliser la couverture de notre livre, nous pourrions utiliser l’estampage à chaud avec diverses options de couleurs d’entoilage, de bordures et de caractères. L’acheteur serait donc invité à choisir certains paramètres de son livre, pour en faire un objet selon son goût. Cette piste rappelle aussi la démarche de certains collectionneurs du 18e siècle, qui faisaient relier tous leurs ouvrages au même format pour décorer leur bibliothèque.

La façon dont les collectionneurs classent leurs ouvrages est aussi une source d’inspiration pour l’organisation du texte et la structure de notre livre conceptuel. Pour le moment, le texte qui nous intéresse est celui de La bibliothèque, la nuit d’Alberto Manguel, qui traite de la façon dont la bibliothèque de quelqu’un, dans ses collections et son classement, reflète les habitudes et la personnalité du lecteur. Manguel y envisage une approche désordonnée du livre, dans lequel on peut entrer et sortir à tout moment, et explore les liens inusités qui surgissent au gré des connaissances que l’on y acquiert.

Ce type de pratique de lecture pourrait se refléter à même les paramètres de design du livre. D’où cette idée qui a surgi d’explorer différents types de pliages possibles pour une feuille ayant le même contenu. Il en résulte des paragraphes désordonnés et étalés sur plusieurs pages, dans lesquels la lecture devient une promenade labyrinthique. Les essais visuels entrepris par Mélissa Pilon explorent ces possibilités de concevoir différents formats pour un même livre. Devenant un objet sur mesure, le livre pourrait alors varier en tailles, en plus de varier en couleurs et en ornements.