Le livre Colorimétrie est composé de 9 cahiers de 16 pages : le premier explique le processus créatif, et les 8 autres correspondent chacun à un algorithme qui détermine une série de figures apparentées. Nous voulions une reliure qui laisse apparaître le dos des cahiers, où est inscrite la règle qui permet de dessiner les formes spécifiques à chaque cahier. Nous avons donc choisi une reliure cabriolet (cousue et sans couverture), ce qui nous a menés chez Multi-Reliure, à Shawinigan. Plus gros relieur industriel indépendant au Québec, ils proposent de nombreux services de reliure aux imprimeurs, offrant ainsi une alternative aux entreprises intégrées (imprimerie et reliure réunies). Pour Colorimétrie, nous avons dû réajuster le design du dos du livre pour nous adapter à la couseuse, en prenant en compte l’écart entre ses têtes de couture. Nous avons aussi découvert qu’elles fonctionnaient deux par deux et qu’il aurait été possible de retirer des paires de têtes pour augmenter l’écart entre les perforations. Lors de notre visite, notre livre était en train d’être relié sur une machine semi-automatique, car la relieuse munie d’un contrôle-caméra rejetait le dernier cahier, aux couvertures arrière variables. À la fin, pour renforcer la reliure, l’ajout d’une colle froide était prévu sur une fixeuse, avec un séchage à infrarouge.
À l’occasion de notre venue, Yvon Sauvageau, le directeur général, nous a offert une visite de l’ensemble de l’usine. Nous avons été impressionnées par les grands ateliers qui s’étendaient sur deux étages, avec des chaînes de production remplissant parfois toute la longueur d’une salle. Notre livre, sans couverture et à couture apparente, reste plutôt atypique dans le circuit de production de l’usine. En général, après le pliage, l’encartage et l’assemblage des cahiers (puis la couture le cas échéant), le livre peut être finalisé selon deux options : la thermoreliure ou la caisse.
La thermoreliure (reliure allemande ou perfect-bind) est un procédé de collage à chaud. Sur une longue chaine automatisée, les cahiers subissent plusieurs étapes : une caméra permet de rejeter les versions mal disposées avant d’appliquer la colle ; ensuite, les cahiers sont emboités et appuyés au fond de la couverture pour y adhérer ; puis le livre passe par un tour d’accumulation pour sécher, et subit finalement une coupe trilatérale. Après le séchage, on soumet un exemplaire au pull test pour mesurer sa résistance à l’arrachage. La colle la plus souple et résistante est la PUR (polyuréthane réactive).
La deuxième option, la reliure caisse, constitue leur spécialité : le corps du livre est emboité dans une couverture rigide. L’opération nécessite de nombreuses étapes. Pour commencer, la couverturière, au sous-sol, confectionne la couverture en assemblant un carton et du papier de reliure ou de l’entoilage. Puis l’emboiteuse (case-maker) réunit le corps du livre avec la caisse. Il est enduit de colle, puis fixé à la couverture lors du beding in : sur la chaine, le bloc ainsi assemblé subit 4 pressages, 3 à chaud et un à froid, dans le mors de la machine. Au cours de la production, on ajoute parfois des tranchefiles entre le corps et la couverture, ou des signets qui sont placés à la main. Le rounder, à la fin de la chaine, assouplit le dos du volume si la couverture est à dos rond. Il existe des dos ronds et les dos carrés, les premiers assurant une meilleure souplesse pour les volumes les plus épais. Cependant, les dos ronds produits en Amérique du Nord sont deux fois moins ronds qu’en Europe, pour des raisons de matériel technique. Enfin, les volumes ont besoin d’un temps de repos d’un minimum de 8 heures avant le transport, l’humidité pouvant affecter la reliure, particulièrement pendant les changements de saison.
Les exemplaires de Colorimétrie sont ensuite retournés à Montréal chez Quadriscan, où ils ont été numérotés à la main et mis sous cellophane pour protéger la page de couverture blanche.