Depuis notre rencontre avec le compositeur Jean-François Gauthier, nous avons établi des liens entre la loi physique des sons harmoniques, qui décrit les rapports mathématiques entre des vibrations sonores, et les proportions géométriques qui définiront les dimensions des caractères. Avec l’assistance technique de Léo Breton-Allaire, Judith Poirier a effectué plusieurs essais visuels pour déterminer la proportion de la lettre. La hauteur de base étant de 12 picas, le choix de la largeur est passé de 7,5, suivant la proportion du rectangle d’or, à 8 picas, suivant la série de Fibonacci, plus pratique à diviser. Le choix de la graisse (l’épaisseur du trait) s’est aussi précisé : après plusieurs essais, elle a été fixé à 3 picas pour garder une surface d’impression du bois aussi grande que possible.
Ensuite, il a fallu déterminer les stratégies de découpage des lettres. En partant de la lettre O comme base de travail, Judith a opté pour une découpe horizontale en 3 parties, avant de déterminer leurs proportions. En procédant par essai/erreur, l’exploration a révélé progressivement les limites et richesses de chaque option. Finalement, la découpe 4/4/4 a semblé la plus modulable, car les morceaux de taille égale peuvent alors être utilisés dans n’importe quelle section de la lettre.
La particularité de cette police est qu’elle permet de construire les caractères dans plusieurs tailles compatibles avec notre presse typographique Vandercook. Les spécimens sont dessinés en 12, 20 et 28 picas, mais les agrandissements seront applicables dans tous les multiples de 4. Les rallonges transforment la graisse de la police, qui par effet optique va de bold vers light, comme un passage à l’octave qui, en doublant la fréquence d’une note, va d’un son grave vers un son aigu. Les diagonales de certaines lettres, comme les M, K, ou W, sont les éléments les plus difficiles à gérer dans les variations de hauteur, mais des solutions apparaissent au fur et à mesure que le travail avance. L’objectif reste de reconstituer l’alphabet au complet avec un minimum de pièces. Ces contraintes construisent un style, qui apparait progressivement.
Notre travail s’inscrit en hommage aux polices de bois, dans une référence esthétique aux linéales grotesques du XIXe siècle. Mais l’avancée de notre projet a aussi créé des formes géométriques inattendues, qui nous ont inspiré un lien avec l’écriture syllabique inuktitut. Le dialogue entre ces différents systèmes d’écriture existant au Québec répond à une envie de découverte d’une culture voisine et étrangère à la fois. Les chiffres et la ponctuation, qu’ils ont en commun, permettent de faire un pont entre ces deux écritures avant de les rapprocher à travers la modularité. Cet aspect du projet apporte une nouvelle dimension graphique à l’ensemble de la fonte. Pour la suite, nous aimerions rencontrer un spécialiste de l’inuktitut qui nous aiderait à comprendre la logique de ce syllabaire, notamment le rôle des signes diacritiques.