Applications artistiques du braille

Nos recherches sur la tactilité nous ont amenés à découvrir des projets artistiques intégrant le braille dans une démarche dépassant sa simple fonctionnalité. Ces pratiques ont pour point commun de créer un pont entre la perception du réel qu’ont les personnes aveugles et non-aveugles.

Dans l’album pour enfants The Black Book of Colors, Melena Cottin et Rosana Faría ont eu l’idée de dépeindre les couleurs telles que les perçoivent les non-voyants. Chaque couleur est décrite en quelques mots dont l’imagerie fait appel au toucher, au goût, à l’odorat et à l’ouïe. Imprimé en braille et en caractères blancs sur pages noires, le texte est juxtaposé à une image en relief.

L’artiste Sophie Calle, dont la démarche nous intéresse beaucoup, vient de produire un livre intitulé Aveugles. Celui-ci réunit des témoignages de non-voyants sur la beauté, la couleur et le souvenir de la dernière image chez ceux qui ont subitement perdu la vue. Le texte est accompagné d’un portrait de l’aveugle et d’une photographie illustrant la réalité qu’il décrit.  Suit une traduction en braille réalisée au moyen de la photogravure, sur des pages entièrement blanches. L’ouvrage se révèle véritablement bilingue, puisqu’il amalgame les langages de l’image, de sa perception par l’aveugle et de la tactilité du braille.

Tactile Mind, le livre érotique de la photographe Lisa J. Murphy, nous a séduits par son imaginaire combinant tactilité et textualité. L’artiste a mis en scène et photographié des modèles nus portant des masques primitifs de sa fabrication, souvent des têtes d’animaux, et des accessoires modernes comme des souliers à talons hauts. Elle a ensuite sculpté puis thermoformé ses images pour les représenter en relief avec une grande précision. La photographie originale est décrite en braille, complétant par les mots l’évocation suscitée par les formes. Spécifiquement pensé en fonction d’un public aveugle, ce projet de création se démarque des traductions d’ouvrages initialement destinés aux voyants.

Sous une forme qui s’éloigne du livre imprimé, mais qui rejoint un public aveugle, nous avons découvert la pratique de SpY, un artiste qui appose des bandes autocollantes portant des messages en braille dans des endroits stratégiques de Madrid, tels des rampes. Cette œuvre intitulée Braillie s’inspire de la réalité urbaine des graffiti et vise à permettre aux non-voyants de l’expérimenter. Nous avons également appris qu’il existe au Museum of Modern Art (MoMA) un programme appelé Touch Tours. Il relève de visites guidées où les personnes aveugles sont invitées à toucher une sélection d’objets et de sculptures de la collection. À la bibliothèque du même musée, Rachael Morrison privilégie une approche sensorielle de l’imprimé dans sa performance « Smelling the Books ». Le projet en cours consiste à sentir tous les livres de la collection dans l’ordre de leur classement, et à documenter l’expérience en décrivant chaque odeur sous le titre et la cote de l’ouvrage.

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