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Le braille à la Bibliothèque nationale

La bibliothécaire Chafika Hamdad nous a reçues au Service québécois du livre adapté (SQLA), que nous souhaitions visiter dans le but de voir des exemples de différents formats et de divers types de publications. Ce service est l’unique endroit de la province où il est possible, pour les personnes éligibles à ce programme, d’emprunter des ouvrages en braille ainsi que d’autres documents adaptés (livres audio, documents électroniques, etc.). De tous les abonnés du service, seulement 10% sont des lecteurs de braille, soit entre 500 et 600 personnes; les autres abonnés, qui ont parfois perdu la vue tard dans leur vie, utilisent surtout les livres audio. Cette collection ne consigne généralement qu’un seul exemplaire de chacun des ouvrages, lesquels sont envoyés par la postes aux abonnés et retournés de la même façon.

Nous avons aimé apprendre que les livres imprimés sont dits « en noir », comme on dirait « en braille » pour ceux qui sont, au contraire, complètement blancs. Nous avons été impressionnées par l’espace occupé par les livres en braille. En effet, chaque cellule correspondant en taille à un caractère de 24 points, le nombre de pages est rapidement multiplié. Ainsi, le cinquième tome de la célèbre série Harry Potter, soit Harry Potter et l’Ordre du phénix, qui fait 1035 pages en traduction française, est composé de 18 volumes dans sa version en braille, chacun des volumes comprenant entre 120 et 150 pages. Il est difficile d’établir un comparatif parfait étant donné les différents formats des publications existantes, mais il semblerait que, en moyenne, une soixantaine de pages « en noir » équivaudraient à un volume en braille.

En ce qui concerne la fabrication, nous avons constaté que les ouvrages plus anciens, de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, avaient des reliures cousues classiques. La plupart des ouvrages sont imprimés sur des pages individuelles reliées, plutôt que sur des cahiers. Les livres ne sont pas rognés pour ne pas écraser les cellules. Il y a aussi des reliures particulières où on trouve l’ouvrage « en noir », soit dans sa version originale, intégré à la couverture du livre en braille. Les éditions plus récentes utilisent les « serre-lock » ou les boudins, qui ont l’avantage de permettre de remplacer une page au besoin, mais qui ont le désavantage d’être fragiles. Dernièrement, on recouvre les reliures de boudins métalliques d’un dos en plastique qui permet de les protéger.

Les duos-médias que nous avions vus à l’Institut Nazareth & Louis-Braille s’adressaient aux enfants et à leurs parents. Au SQLA, nous avons pu voir un autre type de duo-média, soit la juxtaposition, dans un même ouvrage, des gros caractères sur les pages de gauche et du braille correspondant sur les pages de droite, ce qui s’adresse aux personnes ayant un certain résidu visuel.

Comme nous nous intéressons à la représentation tactile des images, nous avons été intriguées par un livre de traductions graphiques et tactiles de peintures de Claude Monet. La pertinence de telles représentations est sujette à discussion. Chafika Hamdad semblait dire que cela pouvait être pertinent surtout lorsqu’il y avait résidu visuel, afin de pouvoir compléter la compréhension de l’image.

Tel que nous le souhaitions, nous avons pu voir des documents adaptés de différents types, tels que des dictionnaires, des partitions musicales, des livres pour enfants, des transpositions visuelles d’œuvres d’art, des recueils de poésie. Nous y allions aussi dans le but de voir si les livres d’artistes existaient pour les non-voyants. Le seul que le SQLA possède est Feuille, de Katsumi Komagata (coédition One Stroke et Trois Ourses, en collaboration avec Les Doigts qui rêvent, pour le centre George-Pompidou). C’est précisément le type d’objet qui nous intéresse, puisqu’il allie l’exploration de la matérialité du livre au premier de nos thèmes, soit la tactilité.

Bref, nous avons pu voir un ensemble d’ouvrages qui nous a inspiré plusieurs idées. En voyant ces différents types de livres, nous avons réfléchi aux façons dont nous développerons et appliquerons ces techniques dans un projet de création.

Institut Nazareth & Louis-Braille

Au mois d’octobre, une rencontre avec Janie Lachapelle, à l’Institut Nazareth & Louis-Braille, nous a permis de visiter les installations où sont produits des livres et des magazines en braille, dont les questions techniques de conception et d’impression nous intéressaient.

Une imprimante embosseuse est utilisée pour les petits tirages (75 à 100 copies). Comme pour tous les livres en braille, le papier utilisé doit être résistant et assez cartonné, en plus d’être lisse afin de faciliter la lecture des cellules. Avec cette technique, l’embossage n’est possible qu’au recto du papier.
L’impression sur feuilles de plastique a l’avantage de rendre les cellules plus résistantes et de pouvoir se laver, ce qui peut être pratique pour des livres de recettes en braille, par exemple. Comme les feuilles sont transparentes, elles permettent aussi ce qu’on appelle les duos-médias : à un livre traditionnel déjà existant sont ajoutées des pages transparentes où se trouve une transcription en braille du texte. Cette technique est souvent utilisée dans des livres pour enfants, où le texte de chaque page est assez court pour être transcrit en entier, ce qui permet à des parents aveugles d’enfants non-aveugles, ou l’inverse, de partager la lecture d’un même livre.

Pour les tirages plus élevés, tels que celui de la revue Le carrefour, produite à 300 exemplaires, on a recours à une presse, rappelant le offset, qui utilise des plaques de zinc embossant quatre pages à la fois, dont les rangées de cellules sont décalées afin de permettre l’impression recto verso. Les revues sont imprimées sur du papier plus mince, moins résistant, puisque leur qualité de média éphémère fait qu’elles sont gardées moins longtemps.

Nous avons aussi appris qu’il n’est pas possible de rogner les publications en braille comme on le fait pour les livres traditionnels, puisque cela écraserait les cellules et en diminuerait la lisibilité. C’est cette même raison qui fait qu’il ne faut pas entreposer ces livres à plat où les empiler.

Pour les personnes qui ont un résidu visuel assez important pour pouvoir lire de l’imprimé traditionnel, il existe des livres adaptés, imprimés en gros caractères (18 points), où sont utilisées des polices sans empattement, simples (Verdana, Arial, Tahoma), qui facilitent la lecture.

Janie Lachappelle nous a montré les impressionnants cartables contenant les plans en relief de chacune des stations du métro de Montréal. Chaque cartable contient les informations sur une seule station de métro, dans une seule des deux directions. Ces cartes en relief fonctionnent avec une légende où sont indiqués différents repères (téléphone, mur, portes métalliques, escaliers roulants, support à vélo, etc.) qui permettent aux personnes aveugles qui les ont étudiées à l’avance et apprises par cœur de circuler dans la station de métro et autour de celle-ci, étage par étage.

Trois techniques différentes permettent de produire des images tactiles. Il y a d’abord le thermoformage, qui consiste à utiliser une matrice en bois ou une maquette en relief pour en imprimer la forme dans des feuilles de plastique. Ce procédé, souvent artisanal, est plus ou moins courant : son utilisation est fastidieuse, les détails sont difficiles à produire et la maquette, à cause de la chaleur, tend à se détériorer graduellement. Par contre, elle peut permettre une variété de textures intéressantes. Ensuite, la technique du thermogonflage consiste à faire gonfler une encre à la chaleur. Elle peut être utilisée pour écrire le braille, mais sert principalement à créer des dessins. C’est grâce à cette technique que sont confectionnés les plans tactiles du métro. Finalement, une technique plus récente permet de tracer les contours d’une image grâce à une embosseuse vectorielle qui réalise le suivi d’un dessin, d’un tracé. Les embossages sont identiques d’une copie à l’autre, et permettent plus de subtilité dans le tracé.

Grâce à Francine Barry, qui travaille à la documentation de l’Institut, nous avons aussi pu consulter des livres sur les techniques de représentation tactile d’images. Elle nous a suggéré, pour poursuivre notre réflexion, de nous rendre au Service québécois du livre adapté (SQLA), situé à la Bibliothèque nationale du Québec.

Installations spécialisées à l’UQAM

Les thèmes de la tactilité et de la lecture, sur lesquels nous réfléchissions, ont mené notre recherche du côté du braille, de la lecture par le toucher. Nous avons commencé par une visite au service d’Accueil et soutien aux étudiants en situation de handicap de l’UQAM où Sylvain Lemay et Chantal Gauthier nous ont accueillies chaleureusement à l’été 2010. Cette rencontre a tenu lieu de premier contact avec la situation des personnes aveugles.

Nous avons appris qu’il existe plusieurs types de handicaps visuels, donc différents besoins qui demandent différents types d’installations. En plus de l’embosseuse en braille mise à la disposition des usagers du service, nous avons pu voir divers appareils d’appoint pour les personnes aveugles, allant de la loupe grossissante au logiciel informatique. Plusieurs autres méthodes sont employées, le livre en braille n’étant qu’un outil parmi tant d’autres. En effet, comme il existe de nombreuses pathologies et que chacune d’entre elles peut varier en sévérité, le choix et l’ajustement des outils d’appoint se fait souvent cas par cas, selon le degré de résidu visuel. Par exemple, la télévisionneuse, sorte de grande loupe à écran, agrandit 164 fois un objet à lire et peut les inverser (blanc sur noir ou noir sur blanc). À l’ordinateur, il est possible d’augmenter la taille des caractères et de changer la couleur du texte et du fond.

En réalisant l’étendue du sujet des handicaps visuels, nous avons décidé de resserrer notre réflexion autour du livre imprimé et de retourner réfléchir à notre projet.